C’est qui le patron (sur un film) ?
- Déborah Braun
- 17 nov.
- 2 min de lecture
Il arrive assez régulièrement qu’un scénariste soit surpris (et parfois même choqué) de découvrir à quel point le film fini n’est pas le film écrit. Des scènes ont été déplacées, coupées, transformées par le décor, les acteurs, le réalisateur, le monteur, le son, la musique…
Pourtant, le scénario est le point de référence de la fabrication du film, qu’il traverse de bout en bout. Il en est le totem. Mais si le scénario « créé » le film, il ne le fige pas. Au contraire, il doit lui donner l’élan.
Alors si le scénariste et son scénario ne sont pas à la barre du film, qui l’est ? le réalisateur ? le producteur ?
Pour ma part j’ai toujours considéré que ce n’est pas une question de hiérarchie professionnelle mais de fidélité au matériau. Sur un film, plus que travailler pour une société, ou pour quelqu’un, on doit travailler pour le film. C’est lui le vrai patron.
Cela signifie d’abord se mettre au service d’une cohérence et d’une intention internes au scénario, et dépasser les batailles d’égos. Cela n’empêche pas les propositions créative, bien au contraire. Proposer, enrichir est notre métier. Mais ces propositions doivent être portées par l’intention du récit et du matériau, sinon on obtient de la dispersion plutôt que de la force. Être au service du film c’est l’accompagner avec rigueur, être à son écoute, le tester, le réajuster autant qu’il le faut
En tant qu’ex-monteuse je sais que le monteur l’expérimente tous les jours. Lire le scénario puis lire les rushes et monter n’est pas chercher à plaquer l’image sur l’écrit, mais en comprendre la traduction, et en chercher le niveau supérieur. Certaines prises « demandent » qu’on les suive, d’autres se dérobent et il faut savoir ne pas les retenir. Il faut du recul, de la souplesse et une conduite précise pour laisser apparaître le film qui existe déjà, mais encore caché. Forcer une scène à être autre que ce qu’elle est après le tournage aboutit presque toujours à une impasse.
Et c’est la même chose à tous les stades de la fabrication du film : scénario/enfance, tournage/adolescence, montage/âge adulte.
Faire confiance au film pour qu’il puisse s'épanouir n’est pas une posture passive mais une discipline, un regard. Cela demande une précision dans les choix, une clarté des intentions, et l'exigence de la cohérence. C’est un art de l’écoute, de ces infimes signaux présents dans les images et les sons qui construisent le film.
“The film will tell you what it needs. If you listen, it’s there.” Walter Murch



